LA VASIERE


LA VASIERE
Brigitte LeBerre



Allons, petit, n’aie pas peur ! Je te promets de faire bien attention à toi. A part ta mère, personne ne t’aura touché avec tant de douceur. Tu vois, il va falloir que je te retire ton petit manteau marron. Sans arracher de bouton. Je vais d’abord les compter. Tiens, il en manque un près du col. Ta maman a dû l’utiliser pour remplacer un de perdu. Je sais, la mienne en faisait autant. Elle disait : «J’en ai pas de rechange et de toute façon celui là tu ne le fermes jamais. » Cinq petits boutons, recouverts de tissu marron, comme celui du manteau, cousus de fil noir. Pas faciles à attacher pour tes petits doigts…
Voilà ! Maintenant je vais prendre ton nounours… Le poser là, près de toi. Tu le serres très fort. Tes doigts sur le velours laissent des zébrures. Ne bouge pas ! Je vais mieux ajuster les stores, il reste un peu d’espace dans le bas. Personne ne doit t’apercevoir. « Ne bouge pas »... Quelle idée ! Je suis trop bête, hein !
Sous ton manteau tu portes une salopette à carreaux, un polo bleu marine avec une petite bande blanche au col. Vêtements propres, bien qu’un peu usagés. Qui les a portés avant toi ? A ton cou, une médaille de baptême. « Justine » Evidemment, ce n’est pas ton nom ! Je pense que c’est la médaille de ta maman. Elle te l’aura accrochée pour qu’on puisse t’identifier, au cas où elle te perdrait dans la foule.
Quelle idée d’emmener un si petit enfant observer les oiseaux en baie de Seine et de le traîner dans les marais au coucher du soleil ! Passages d’oies exceptionnels ou pas, il faisait si froid cette nuit. As-tu pleuré quand tu l’as perdue de vue ? Est-ce que tu as zozoté « Z’ai perdu ma maman. Ze sais pas où elle est. Ze veux ma maman. » ? Est-ce que quelqu’un t’a écouté mon tout petit ? Elle ne t’avait pas dit de ne pas suivre n’importe qui ?
Il y a plein de petites miettes de fougères sous tes bottes. Je t’ai déchaussé tout à l’heure. Tu n’as rien senti. Pourtant tu dois les aimer, tes bottillons. Avec les petits zèbres
peints sur la tige. Exactement le genre de souliers que les enfants adorent. Je suis sûr que mon petit Romain en aurait voulu des comme ça ! En te voyant, je pense à lui, à son petit air polisson quand je le grondais. Il ne m’écoutait pas, le garnement ! Tiens, je vais te raconter la fois où il est monté sur la margelle de la fontaine de la place de l’hôtel de ville. Il a voulu grimper sur les grosses boules noires, comme tous les enfants ! Pour approcher des autruches de fer forgé… Tu devines ? Eh bien oui ! Il est tombé ! Trempé comme une soupe qu’il était ! L’eau était froide, il pleurait… Le plus fort, c’est que ce n’est pas lui que sa mère a grondé quand on est rentré ! Non ! C’est moi qui ai eu le droit à un sermon ! Bon, tu t’en moques et tu as bien raison. Toi, là où tu es, tu n’as pas chaud non plus. Il fait toujours froid ici…
Tu es là, allongé, tout pâle, avec ton ours serré contre ton cœur et moi comme un sauvage, je te prends tes chaussures, ta peluche, ton manteau … Et ce n’est pas fini… Maintenant, je dois te mettre à nu. Je dois continuer à te déshabiller, je n’ai pas le choix.




Quand ils t’ont trouvé à l’heure bleue, devant le garage de l’Unité de Gendarmerie Maritime, ton sort était scellé ! Rien ne te sera épargné. Je ne peux qu’essayer d’être un exécuteur tendre et attentif, compatissant à la douleur de ta maman. Pardonne-moi !
Je dois être professionnel, faire ce pour quoi je suis payé.
J’arrive dans ta vie ou plutôt dans ta mort, comme un chien dans un jeu de quilles. J’ai réussi à t’éviter mon confrère, ce « m’as-tu vu » rubicond. Mais je ne pourrai pas éviter de t’immoler à la médecine légale.
- Bernard, le micro est prêt ? Jeudi 17 mars 2011. 8 heures 40. Basile, enfant de sexe masculin. Trente deux mois. Cause apparente du décès : noyade …. »

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