Le Festival "POLAR A LA PLAGE" vous invite à participer au concours 
"POLAROID CINEMA"!!!

Réalisez un court métrage d'une durée maximale de 5 minutes en adaptant fidèlement ou librement l'une des nouvelles mises à votre disposition sur ce site avant le 31 mai 2012.


REGLEMENT 


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LES NOUVELLES:



CARGO
Laurent Brard 

 Extrait: 
- C'est fini, salopard ! On va te balancer par-dessus bord !
Daphné se laissait aller. L'atmosphère était lugubre et la peur la prenait à la gorge. Cramponnée à la main courante, elle ne pouvait détourner son regard du macchabée dont la tête emballée dans un imperméable était posée entre ses pieds. De toute façon, que pouvait-elle voir d'autre ? Autour, ce brouillard d'une opacité inouïe empêchait toute perspective. Elle ne distinguait que cet amas de tissu masquant le visage de la mort. Le torse, déjà, brouillé par les fines gouttelettes en suspension, lui échappait.


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CARTE ROUGE
Jacques Pellerin 



 Extrait:
Pour Le Bihan, c'était un passage au dépôt qui lui coûtait, il venait chercher sa convocation pour le cabinet médical en gare du Havre. Comme s'il fallait absolument se faire voir une dernière fois des chefs avant de consulter. Son troisième contrôle dans le semestre ; une humiliation pour un ancien comme lui. Merde, il avait quand même fait ses preuves, vapeur comprise. Il n'y avait plus de respect, plus de recon­naissance, plus rien. Un matricule, rien d'autre...

 


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COMME UN LUNDI
Dominique Chappey 

Extrait:
"Le sujet de la dissertation était Peut-on trouver une justification à la barbarie ? Est-ce que le petit prof de philo avait envie de jouer avec le feu ou bien était-ce un classique des sujets de bac ? J'avoue que je n'en savais rien, mais c'est vrai que le résultat était un peu lourd à digérer. Peu de citations, mais des références à la pelle. Et certainement pas, le genre que le prof de philo attendait. Exit Descartes, Kant ou Hegel et bienvenue au répertoire encyclopédique des fusillades et des tueries en milieu scolaire. Depuis les treize morts du trop célèbre Lycée de Colombine en 1999 jusqu'aux trente-trois de l'université de Virginia Tech en 2007, rien ne manquait. La barbarie s'invitait à l'école et les élèves y entraient chevauchant sur son dos. La dissertation avait pour titre : Je n'aime pas les lundis. On pouvait comprendre que le prof de philo s'inquiète un peu. Il savait qu'il y avait plein de lundis dans une année scolaire. Et il pensait que, dans une de ses classes, un jeune con s'amusait à lui faire peur."

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CRIME PASSIONNEL
Suzanne Fleixas

Extrait:
Comment fait-on pour tuer quelqu’un ? Dans les films, ils ont toujours des revolvers, ou des fusils, ou des mitraillettes. La mitraillette c’est ce qu’il y a de mieux. On peut tirer des dizaines ou des centaines de fois sans s’arrêter. Dans les films, ils ratent parfois leur cible même avec une mitraillette, quand la cible se met à courir en zigzag et se cache derrière des poteaux, ou des voitures, ou n’importe quoi. Mais c’est du cinéma. En vrai, on ne doit pas pouvoir rater son coup avec une mitraillette. Mais comment fait-on pour se procurer une mitraillette, se demandait Madeleine?

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FRIC-FRAC AU HAVRE
Muriel Meunier

Extrait:

C'est la première fois que je participe à un cambriolage ! Sous mon énorme blouson, récupéré dans une friperie pour la circonstance, avec mes gants et ce passe-montagne, la sueur m'inonde. Et puis la peur me noue les entrailles. Mon sort est entre les mains d’inconnus. A part mon beau-frère. Je me souviens de ses paroles avant que je ne m'engage dans cette entreprise risquée :
«  Les gars sont des pros. Ils connaissent les lieux comme leur poche. Ça ne va pas nous prendre plus de dix minutes pour ressortir avec le coffre-fort ! »


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INCIVILITÉS
Suzanne Fleixas 
 
Extrait:
"Évidemment cette fois, c’était un peu raté. Les étagères et les présentoirs n’avaient pas résisté à la panique générale, et les employés de la bibliothèque avaient l’air vraiment morts maintenant. En tout cas il y en avait trois qui pissaient le sang et qui ne bougeaient plus. La plupart des lecteurs s’étaient enfuis en hurlant, juste après la fusillade, renversant tout sur leur passage. Il ne restait plus que deux petits vieux hagards dans les fauteuils réservés à la lecture des journaux, muets, paralysés de trouille, incapables de réagir autrement qu’en fixant des yeux les corps inanimés des victimes."

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MINUS HABENS
Christian Elain

Extrait:
"C'est à cause de ta sale tête de crabe qu'il t'appelle comme ça ton maître. C'est vrai qu'il a raison. Quand on te regarde bien, t'as vraiment une sale tête de crabe." Voilà ce qu'elle disait l'autre peau de vache quand je lui demandais pourquoi Monsieur Dubois ne m'appelait jamais par mon prénom comme il faisait avec les autres. Pour moi, c'était toujours "Minus à pinces". Et puis d'abord, c'est quoi ce crabe ? C'est vrai quoi. A part Monsieur Dubois, personne ne m'en a jamais parlé de ce crabe. Et comme Monsieur Dubois ça fait longtemps qu'il est mort... De toutes façons, maintenant, l'autre peau de vache ne m'appellera plus jamais "Sale tête de crabe"."

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MOMO
Jacques Pellerin 

Extrait:
(BIENTOT DISPONIBLE)

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LA MORT BLANCHE
Flanjou


Extrait:

Tandis qu’elle le servait, il ne la quitta pas des yeux. Des pupilles d’un bleu intense, dont l’éclat jaillissait d’orbites profondes, par-dessus les pommettes saillantes d’un visage maigre, presque émacié. Elle lui trouva une allure parfaitement vulgaire. Et pourtant, une élégance invraisemblable, un charme princier mais d’un autre univers, une séduction malsaine. La beauté du Diable, pensa-t-elle. A la fois révulsant et fascinant.


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LA TRAQUE
Sébastien Géhan

Extrait:
 Sur l'affiche, Simon peut lire ce slogan, en lettres rouges : « ILS ASSASSINENT ! ENVE­LOPPES DANS LES PLIS DE NOTRE DRAPEAU ! ». En-dessous, la Préfecture présente les résistants comme des hommes mani­pulés par les « Soviets et les Juifs ». 
Simon accélère le pas. Un froid terrible l'enserre tout à coup...
(...) Moussa a très froid. Depuis qu'il est arrivé au Havre, il a surtout ressenti les aléas de la pluie, ces trombes de flotte qui tombaient du ciel à faire le bonheur du « marabout fi­celle » de son bled sénégalais. Les Havrais emploient souvent l'expression « il pleut comme vache qui pisse ». Avant de par­tir en « classe découverte » dans la campagne normande, Moussa ne saisissait pas le sens de la métaphore. Puis il avait vu à l'œuvre, dans un champ, près d'Etretat, une vache noire et blanche faire ses besoins, en une cascade d'urine dorée. Au­jourd'hui, en ce mois de février 2007, le thermomètre est tombé aux alentours de zéro. Pas de vache à l'horizon. La météo annonçait de la neige.

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MUETTES
Thomas Hédouin


Extrait: 
"On n’a pas pu résister. Déjà, trouver ce truc sur notre plage, en pleine décomposition, ça nous avait chamboulés, mais qu’un poisson lui sorte de la gueule et lui ouvre plus grand encore qu’il l’avait, ça nous a définitivement stressés. On s’est mis à gueuler, à hurler. On a appelé au secours, rameuté le ban, vite, les mecs, y’a un macchab sur la grève, virez-nous ça, on va avoir des traumatismes de la petite enfance si vous le dégagez pas de notre coin de paradis. Parce que notre plage, c’est sacré ; c’est à nous et rien qu’à nous."



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NOIR C'EST NOIR
Thomas Hédouin


Extrait:
"Après ça, je crois que j’ai dormi un peu ; j’étais lessivé, un mal de crâne pas possible – ils m’avaient buté, après tout, j’avais bien le droit de me reposer un peu. Et puis le ronflement des turbines qui emplissaient le bateau de centaines, de milliers, de millions de litres de poison noir, me berçait. Bien sûr, rien qu’à l’oreille, je me rendais bien compte qu’elles emplissaient un peu trop, que, normalement, ça aurait du déborder un chouïa ; mais je savais, désormais, pourquoi il n’en était rien, pourquoi tout suivait son cours ; rassuré, presque béat, j’ai fait comme si j’attrapais mon pouce et j’ai tété le lait noir du tanker. J’étais bien, alors j’ai profité de toute cette mort pour rêver un peu."


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UNE PAIRE DE CHARENTAISE NEUVE
Pascale Doudeau 


Extrait:
"Je ne suis pas sénile ! ! ! Je n'ai rien perdu de mes facultés ! Je le connais, je l'ai vu, je lui ai même parlé : c'est un SDF qui a trouvé refuge là : parmi les corps froids, il paraît qu'il a chaud... S'appelle Piotr, ce garçon-là; plus jeune que moi, mais quand même la soixantaine... Bien conservé, les épaules encore droites et rondes, le ventre plat. Me demande comment il fait... Enfin, séduisant encore..."


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PROMENADE FATALE
Deanna Lacoste


Extrait:
Le corps flottait tranquillement dans le bassin Vauban. Le vent du nord l’avait poussé contre la margelle du quai Frissard et il semblait y rebondir mollement, au rythme du clapot.
Tout était mou ce matin dans le port du Havre, à l’image de l’inspecteur Bonacci qui avait été tiré du lit à six heures, par un téléphone obstiné et agressif. Six heures, c’était beaucoup trop tôt pour Damien Bonacci, surtout depuis qu’il était l’heureux papa d’une petite Zoé.



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 REGLEMENT DE COMPTE A TOUFFREVILLE LA CABLE
Suzanne Fleixas


Extrait:

Derrière la fenêtre de sa grande chambre aux belles poutres apparentes, Michel observait avec inquiétude la maison voisine, qu'on distinguait par-dessus le bouquet d'arbustes au bout du jardin. Mais aujourd'hui, malgré le soleil printanier de ce beau dimanche d'avril, il était sombre et inquiet, vraiment très inquiet. Et cette inquiétude faisait renaître le souvenir d'une nuit d'octobre, il y avait maintenant plus de trois ans, qui revenait le hanter parfois. Non qu'il en eût vraiment beaucoup de remords, mais il commençait à se sentir découragé. Il ne put s'empêcher de se repasser mentalement le film des événements.


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SENS INTERDIT
Thomas Hédouin


Extrait:
"Un coup. Puis un second. Deux balles, tirées à sept mètres vingt de la cible initiale. Deux balles, 9 mm, Parabellum, crachées par le canon d’un SIG P210 modèle 49. Une véritable machine à tuer. Mais, malgré les deux impacts et les deux trous qui s’en suivirent, malgré le sang, les morceaux verts et gris et blancs et rouges de cervelle éparpillée, les lambeaux de peau - de celle du visage -, les os en miettes, le cartilage pulvérisé, malgré tout cela, il resta debout - cloué sur place, comme qui dirait. Le sang grumeleux coula sur lui et on aurait dit qu’il s’en foutait. Il n’avait pas bougé. Pas d’un millimètre." 


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TO HAVRE OR HAVRE NOT
Dom Roy


 Extrait:

"Paris doit s’ouvrir sur la mer", voilà la dernière marotte du conseiller du Président. Du coup, c’est bibi qu’on envoie étudier une partie de la question, la partie sulfureuse. Le Havre, retour à la case départ, à mes folles années. Si à l’époque quelqu’un m’avait prédit ce que je deviendrais, il en aurait pris deux bonnes, et, si aujourd’hui quelqu’un me reproche ce que je suis devenu, ça sera le même tarif. Je suis un homme de coups. De coups bas. Dieu merci, les chances de croiser une vieille connaissance lors de cette mission sont rares, quant aux chances d’être reconnu, elles sont quasi nulles. Trente piges au service de l’état, ça vous change un homme.


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LA VASIERE
Brigitte LeBerre


Extrait:
"Voilà ! Maintenant je vais prendre ton nounours… Le poser là, près de toi. Tu le serres très fort. Tes doigts sur le velours laissent des zébrures. Ne bouge pas ! Je vais mieux ajuster les stores, il reste un peu d’espace dans le bas. Personne ne doit t’apercevoir. « Ne bouge pas »... Quelle idée ! Je suis trop bête, hein !"


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LE VIEIL ECONOME
Aurélie Ligier
Extrait: 

— C’est la voisine, sa fille l’a trouvée morte dans le salon, la gorge tranchée net. Tu te rends compte ? Il y a un cinglé qui se cache peut-être dans notre quartier. Un malade, Charles ! Tu m’entends, dis ?
— Comment veux-tu que je ne t’entende pas ? Tu me hurles dans les oreilles. Je ne suis pas aussi sourd que toi.
Il continuait d’éplucher ses patates, nonchalamment. Ce mouvement, répétitif, lui apportait du réconfort et l’aidait à se couper des jérémiades incessantes de sa femme. Comment aurait-il pu deviner qu’elle deviendrait si bavarde avec le temps ?
— De quoi as-tu peur Suzy ? Qu’il vienne te tuer toi aussi ?



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VOLER N'EST PAS JOUER
 Louise Balem


Extrait:
"Treize heures déjà, à ma Rolex. Je l’ai toujours dans ma poche, ma belle tocante en or, pas question de la mettre au poignet pour mendigoter, un SDF avec une Rolex, ça ne fait pas crédible. Un cadeau de Guppo, un pickpocket habile qui bosse au centre commercial sur l’heure du midi. Je le vois souvent à l’œuvre et nous discutons parfois. Pour lui aussi, la vie n’a pas été tendre."


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CARGO


CARGO
Laurent Brard




- C'est fini, salopard ! On va te balancer par-dessus bord !
Daphné se laissait aller. L'atmosphère était lugubre et la peur la prenait à la gorge. Cramponnée à la main courante, elle ne pouvait détourner son regard du macchabée dont la tête emballée dans un imperméable était posée entre ses pieds. De toute façon, que pouvait-elle voir d'autre ? Autour, ce brouillard d'une opacité inouïe empêchait toute perspective. Elle ne distinguait que cet amas de tissu masquant le visage de la mort. Le torse, déjà, brouillé par les fines gouttelettes en suspension, lui échappait.
Satisfaction de toucher au but, d'être à deux doigts d'effacer toute trace de cet homme monstrueusement impudent, de le voir là, à sa merci, incapable de se faufiler dans son dos, de l'effleurer, tournoyer, renifler tel une bête en rut. Horreur, à la fois, de le savoir si proche et de sentir son influence néfaste persister à ranimer sa souffrance, à forcer son intégrité, comme s'il s'installait définitivement dans son intimité, dans sa mémoire. Elle prenait conscience, à cet instant, qu'éliminer l'objet de sa tourmente ne suffirait pas à tout oublier. Le soulagement tant espéré à l'idée de se libérer d'une telle malfaisance tarderait à venir. Echappant aux remous vaseux des profondeurs de l'estuaire, une ombre perfide et tenace la talonnerait longtemps encore, elle le savait désormais. Son emprise demeurait si grande, si pesante...
Le roulis, lancinant, et le "flic floc" des vaguelettes heurtant la coque contrariaient l'immobilité et le silence morbide. Cette fichue carcasse n'en finissait pas de se balancer au rythme des flots ondoyants ! Chaque retour de rame, en faisant danser l'embarcation sur une quille déséquilibrée, transmettait au cadavre un soubresaut terrifiant. Chaque son, étouffé, détourné, semblait expiré de ses entrailles. Défiant l'évidence, quelque chose de vivant s'en dégageait. Les éléments, invitant le doute, éprouvaient la raison. Et si sa main venait à bouger, à l'agripper puis à l'étreindre jusqu'au trépas... Elle angoissait, subitement, de le voir se relever d'un bond...
D'un bref regard circulaire alentour, elle chercha, haletante, une improbable échappatoire, puis se ressaisit... Il fallait assumer, se contrôler, dominer tout ce que cette situation inimaginable lui inspirait, pour ne rien compromettre. Elle s'était imposée, elle voulait être là pour voir de ses yeux la fin de son calvaire. Richard n'avait pas besoin d'aide. Il aurait préféré qu'elle reste à quai ou, mieux, à la maison. Cédant à son insistance, il avait accepté de l'attendre, finalement, mais seulement après avoir refroidi et embarqué Blindau dans le doris.
Elle commençait à regretter toute cette mascarade. C'était une folie. Mais c'était fait. Plus moyen de revenir en arrière. Il fallait aller au bout, s'éloigner le plus possible de la côte. Pas une trace ne devait rester.
Une corne de brume hurlait au loin. Venait-elle du port ? Daphné était désorientée. Ils s'étaient écartés de la digue nord et fendaient une mer d'huile vers le large. La silhouette de Richard, aux commandes du doris, s'effaçait dans l'épais brouillard. Son souffle, en revanche, sifflant et grelottant, transperçait le silence de l'aube. Cette purée de pois les arrangeait. La ville, pourtant si près, semblait si loin, comme évaporée, diluée dans les vapeurs matinales. Ils ne pouvaient espérer mieux pour passer inaperçus. Pas d'horizon, seuls au monde, aucun risque de se faire surprendre... Le plan de Richard était parfait. Bientôt, des mois d'angoisse lourdement lestés allaient couler. Encore un peu de patience...
- Tu m'aimeras ou nous mourrons ! avait dit ce vieux dégueulasse avec un sourire effarant.
Ce murmure agressant son oreille, cette haleine sèche et acre glissant sur sa nuque, ces yeux furetant sa poitrine, caressant ses courbes... Tant de mots chuchotés au bureau, de rencontres sans hasard dans la rue, les magasins, de regards insultant sa pudeur, à la plage l'été, à la piscine ou au club de gym l'hiver... Plus de répit, plus d'intimité, il était partout. Jusque dans son lit, lorsqu'elle hallucinait en se réveillant de ses cauchemars les plus atroces. Richard la prenait dans ses bras, lui parlait... Dans les brumes du sommeil, l'espace de quelques secondes, elle voyait Blindau l'enlacer.
Souvenirs insupportables ! Daphné ne put retenir son pied qui, dans un élan de violence rancunière, rebondit sur la tête du mort. Il fallait en finir ! Personne d'autre ne savait. Depuis le début, ce pervers inébranlable s'était attelé à l'isoler. Au détour de quelques vannes bien placées, il soulignait chacun de ses faits et gestes et la présentait, insidieusement, comme une possible hystérique. Du haut de son Master de Psycho, Richard avait analysé la situation. Selon lui, toute tentative de dénonciation lui serait revenue en boomerang. Elle aurait morflé et Blindau se serait érigé en victime.
Durant tout ce temps, il avait assisté, impuissant, à la dégringolade de sa douce fiancée. Une cible choisie, à ses yeux, pour son charme, c'était indéniable, mais aussi pour son tempérament réservé, un peu timide, éminemment fragile et enclin à une certaine docilité. Le portrait qu'il avait dressé d'elle, ce jour-là, l'avait profondément contrariée. Daphné s'était sentie accusée d'avoir attiré l'attention de Blindau. Richard ne doutait pas de sa fidélité. Mais il semblait la suspecter d'une passivité complice. La jalousie s'invitait en lui, à ses dépens, même s'il se gardait de l'avouer. Ce sentiment intolérable d'être abusée perdait donc tout écho, jusque dans la confiance inestimable de Richard. C'était trop ! Submergée par la colère, déterminée à s'affirmer, à prouver qu'elle était tout sauf un "petit être fragile et docile" satisfait de plaire au premier venu, elle ne souffrirait plus l'emprise de Blindau. Depuis, des idées d'une violence qu'elle ne se connaissait pas agitaient ses pensées.
- Je vais le tuer ce salaud !
Au tout début, Richard l'engueulait lorsqu'elle s'égarait en menaces ou en invectives. Une gifle exaspérée ? Elle ne devait même pas y penser ! Il fallait tout ravaler, en attendant de trouver une solution convenable. Selon Richard, le pervers calculateur se nourrit de l'impulsivité de ses victimes. Réagir sans réfléchir l'aurait renforcé, soi-disant... "Prendre des précautions et s'ouvrir de sages perspectives", tel était son credo. Richard était lourd, parfois. Et la réalité bien éloignée de ses théories scabreuses. La réflexion, la sagesse et les perspectives s'éreintaient chaque jour davantage. Acculé, comme elle, par le jeu définitivement cloisonné de Blindau, Richard mit de moins en moins d'énergie à la raisonner. Finalement, les nerfs à vif, c'est lui qui, le premier, envisagea sérieusement de passer à l'acte.
Encerclés, assiégés, piégés, certains qu'aucune autre issue ne s'offrirait à eux, ils résolurent ensemble de le liquider, purement et simplement. Des mois de stress, d'angoisse, de colère contenue, d'envies réfrénées... Un imperceptible désir de vengeance aurait-il annihilé d'autres choix ? Daphné ne pouvait s'empêcher d'y penser, maintenant que l'affaire était pliée. Trop tard, de toute façon ! Autant se faire à l'idée que ce type horrible avait reçu sur la tête ce qu'il méritait.
Se concentrer sur la suite, se préparer à jouer l'étonnement pour faire comme tout le monde au bureau... L'absence prolongée de Blindau inquiéterait bientôt... Une enquête, sans doute... Des questions, peut-être... S'infiltrer dans la rumeur, le blabla, surtout ne pas sortir du lot...
Un bruit assourdissant l'extirpa soudain de ses songes. La corne de brume était toute proche désormais.
Qu'est-ce que c'est ?... Richard ! On est où ?
Il cessa de ramer, laissant la barque s'épuiser dans l'eau.
- Richard ! Je veux rentrer ! Allez, on le balance !
Elle s'apprêtait à saisir les épaules du cadavre quand elle sentit un courant d'air chaud lui caresser les joues. Le soleil pointait à l'est. Ses rayons éblouissants ouvraient un ciel maculé sur la mer et heurtaient ce gigantesque nuage opaque en station sur la côte. Quelques mouettes crièrent au jour revenu pendant que le doris finissait lentement sa course. Aveuglée par la lumière si blanche, étourdie par le roulis, Daphné cligna fermement les paupières et secoua la tête pour reprendre ses esprits. Puis elle commença à soulever péniblement le corps. Quelques rubans cotonneux mouraient encore ça et là...mais elle voyait clair tout à coup... bien plus loin que le bout de son nez. L'imperméable couvrait la dépouille jusqu'à la taille... au-delà, la vérité... ce pantalon...
- Richard ?
Un instant pour comprendre qu'il n'avait pas eu le dessus... Un instant pour oser lever le regard vers Blindau dont le visage, sur fond gris, s'offrait à la lumière... Un instant pour voir la fin dans le reflet de ses yeux fous. Puis la corne de brume, hurlant une dernière fois avant que l'étrave du cargo, monumentale, monstrueuse, ne perce le brouillard et pulvérise l'embarcation.
Dans le sillage du navire, quelques débris...

CARTE ROUGE



CARTE ROUGE
 Jacques Pellerin


Dans la cour du dépôt du Havre, des mouettes immobiles encerclaient une immense flaque. Elles étaient toutes orien­tées Nord-Ouest pour voir passer les trains.
Pierre Le Bihan gara sa Renault 12 le long du garage à vélos. Il porta ensuite machinalement son regard vers le foyer des mécaniciens. Adossée à l'impasse Mazeline, la bâtisse, recroquevillée sur elle-même, semblait se résigner sur sa vétusté, et sans ses montants d'angles de briques rouges, elle se serait écroulée comme un handicapé sans ses béquilles. Le bâtiment avait pourtant eu ses heures de gloi­re, surtout en 1938 lors du tournage de « La Bête Humaine » de Jean Renoir. Des séquences d'intérieur avaient été fil­mées. Jean Gabin, Fernand Ledoux, Carette, Simone Simon avaient fréquenté les lieux. Depuis le décor était resté prati-quement le même. Les réclamations des mécanos et les rapports syndicaux n'étaient jamais parvenus à modifier les fondements de la baraque. Un bout de lino, de nouveaux rideaux et quelques casseroles neuves en alu, lâchés par le tôlier sous la pression de la base, permettaient de contenir la révolte. De toute façon, le chef de dépôt avait cette for­mule imparable au niveau syndical :
- D'accord Messieurs, vétuste, mais propre !
Et Rougeventre, responsable de l'hygiène du foyer répon­dait systématiquement au conducteur en repos qui s'indi­gnait de l'état des chiottes
- M'en parle pas, moi-même j'y vais pas !
Le foyer pourrissait de l'intérieur, c'était là son point faible.
Le Bihan salua les « cartes rouges » qui maçonnaient le mur d'enceinte donnant sur la rue Labédoyère. Au-delà de leur pigmentation violacée, on les appelle ainsi par compa­raison avec les wagons avariés sur lesquels les visiteurs de gare apposent des étiquettes de la même couleur. A réparer sur place. Pas même rechargeables.
Ils talochaient mollement un ciment granuleux. Le mur souffrait trop de cavités et de fissures pour espérer le reta­per correctement et définitivement. Les années de pluie avaient balayé la couche d'enduit et des zones de pierres grises et friables apparaissaient sur le blanc délavé. Autrefois rempart des installations ferroviaires, le mur semblait maintenant voué à une lente mais inexorable désagrégation. Les gars s'étaient attelés à cette besogne de maçonnerie comme des prisonniers politiques dans un camp de travail : sérieux, mais lents, guettant une hypothétique averse pour se mettre à l'abri. A se demander si le patron ne faisait pas exprès de les sortir pour qu'ils pren­nent un peu l'air.
Pour Le Bihan, c'était un passage au dépôt qui lui coûtait, il venait chercher sa convocation pour le cabinet médical en gare du Havre. Comme s'il fallait absolument se faire voir une dernière fois des chefs avant de consulter. Son troisième contrôle dans le semestre ; une humiliation pour un ancien comme lui. Merde, il avait quand même fait ses preuves, vapeur comprise. Il n'y avait plus de respect, plus de recon­naissance, plus rien. Un matricule, rien d'autre...
Sous le pont Denis Papin, les isolateurs bourrés d'humidité grésillaient comme une friture. Le Bihan emprunta la piste et traversa les voies au niveau du Poste 2. Il remonta ensuite le chantier de la Plaine en longeant un alignement de conte­neurs posés au sol. Au-dessus des voies, la marquise planait comme un immense delta. Et là, bizarrement il eut le souvenir de cette journée du 7 juin 1956 où le train de 8h40 était parti avec une bonne heure de retard. Finalement, les CRS avaient chargé les manifestants qui s'opposaient au départ des rappe­lés pour l'Algérie. A cette époque, il ne conduisait pas encore les trains. Ce jour-là, il était dedans. Direction la Haute-Kabylie pour rejoindre le 13ème Régiment des Dragons Parachutistes. Vingt-quatre mois à Tizi-Ouzou. Quand même autre chose que la grisaille du Havre. Deux années dont il valait mieux pas trop parler. Enfin, il en était revenu...
Ce n'est qu'en tête de quai qu'il se demanda quel agent le remplacerait sur le 134. Un jeune blanc-bec au manche du bolide serait capable de faire des conneries. On offrait la place dans le roulement à n'importe qui. Mais qu'est-ce qu'on lui reprochait dans le fond ? De boire son coup ? Et alors ? Jamais saoul au boulot. Jamais en retard. Des emmerdes en ligne bien sûr, mais pas plus que les autres. D'accord, il ne crachait pas dessus. Il ne s'en cachait pas, il avait toujours bu. D'ailleurs, peut-être même moins maintenant qu'à une certaine époque de l'Algérie ou de la vapeur. Non, il était resté le même.
C'est la médecine qui s'était hissée au niveau de la trac­tion moderne. Et s'il fallait toujours se soumettre à l'analyse d'urine et à la palpation du foie, ces contrôles n'étaient que routine comparés aux deux nouvelles orientations médi­cales : le cœur et le sang. La locomotive et les rails.
Pour Le Bihan, c'était surtout les rails. Autrement que dans du marc de café, ses bilans sanguins témoignaient du passé, du présent évidemment, et d'une certaine façon de l'avenir. Car si l'on peut à la rigueur retenir un râle de douleur à l'enfoncement d'un pouce dans le lobe du foie, personne en revanche ne peut contester les résultats d'un examen biologique où apparaissent des enzymes en sur­nombre et un volume globulaire à la dérive. Les « gueules rouges » d'antan laissaient la place au « profil coronarien » et si le terme semblait plus recevable, il ne changeait rien au résultat final. Dommage pour Le Bihan qui n'avait pas vrai­ment le teint rosé.
Le docteur avait les mains blanches et Le Bihan pensa que pour cet homme, le vin comme le soleil devait faire partie des forces du mal.
En repérant son dossier déjà ouvert sur le bureau, il son­gea aussi que son nom portait tout l'atavisme d'une région, et que d'une certaine manière il en faisait aussi les frais. Et c'est vrai qu'il y a encore quelques années les gars l'appe­laient « le Breton ». Un surnom facile, sans secret. Deux ou trois bordées de retraités et son surnom s'était effacé des mémoires, gommé comme une erreur. On l'appelait encore parfois « Pierrot » rarement « Pierre ». Et en cas de pépin sur un train, on disait : « C'est Le Bihan qui était dessus » même si pas mal de jeunes n'arrivaient pas à mettre une tête sur le pépin.
Il lui restait encore deux ans avant sa mise à la retraite. Un sacré bout de chemin ; aussi loin que Lorient, sa ville natale. De toute façon, il resterait au Havre à cause de sa femme, une fille de Sanvic, mais il conserverait son abonne­ment à Ouest-France. Un partage.
Le médecin semblait relire ses notes comme s'il hésitait encore sur le diagnostic à établir. Il n'en était rien. Il cher­chait simplement ses mots :
— Parlons franchement Monsieur Le Bihan. J'ai reçu vos der­niers résultats d'analyse et ce n'est guère brillant malgré mes recommandations. Autant vous le dire tout de suite, ce nouveau taux de 187 Gammas GT m'oblige à vous retirer de la conduite. Rassurez-vous, il ne s'agit que d'un retrait tem­poraire... J'ai proposé six mois au « service doux » du foyer. C'est le temps qu'il faut pour... se refaire. Après cela, nous nous reverrons pour faire un nouveau point. De votre côté, si vous avez besoin d'aide...
En fin de phrase, le toubib avait souri et Le Bihan l'aurait bien buté sur place à ce moment-là. Il s'était levé d'un bond. L'annonce de la sanction l'empêchait de parler. Il aurait voulu dire qu'il était prêt à assurer n'importe quel train dans la minute et que ce n'était pas un individu qui portait des lunettes et qui n'avait jamais roulé qui l'empêcherait de faire son dernier train. Il aurait pu ajouter qu'il avait même connu des mécanos au temps de la vapeur qui avalaient leurs trois litres à l'aller et qui faisaient l'heure à St Lazare.
Une coulée de sécrétion acide lui brûla l'œsophage et à un autre que « gueule pâle », il aurait demandé une pres­cription pour quelques boîtes de pastilles Rennie.
Il quitta le cabinet médical sans même serrer la main blanche qu'on lui tendait; conscient que la conduite des trains s'arrêtait là et que le seul engin qu'on lui confierait désormais serait la brouette du dépôt. Il rejoignait ainsi le groupe des « cartes rouges » et ce n'était pas vraiment une promotion.
Il se retrouva sur les quais parmi les voyageurs qui pre­naient l'autorail de Montivilliers. Il remonta le long de la rame et au lieu de prendre la piste il poursuivit sa marche à contre-sens dans la voie en direction du dépôt.
Des images de serpillières pourries à essorer et les mots « cartes rouges » le martelaient sans cesse. Il pleuvait et il fut un instant à l'abri le temps de passer sous le pont Jean-Jacques Rousseau.
L'aiguilleur du Poste 1 l'aperçut et lui cria de dégager à cause de l'express qui était annoncé. Le Bihan progressait, sans cadence, le rythme de ses pas toujours cassé par le jeu des traverses.
Il n'entendit ni la vibration du rail, ni les coups de sifflet répétés du rapide. Dérangées par le claquement sec des bogies sur les aiguilles, les mouettes s'envolèrent, laissant dans le ciel une impression d'écharpe blanche. Un signe d'adieu.
Il avança encore de quelques mètres, trébuchant parfois sur le ballast. Enfin il s'arrêta, et sa dernière couleur fut le rouge.


CRIME PASSIONNEL


CRIME PASSIONNEL
Suzanne Fleixas



Comment fait-on pour tuer quelqu’un ? Dans les films, ils ont toujours des revolvers, ou des fusils, ou des mitraillettes. La mitraillette c’est ce qu’il y a de mieux. On peut tirer des dizaines ou des centaines de fois sans s’arrêter. Dans les films, ils ratent parfois leur cible même avec une mitraillette, quand la cible se met à courir en zigzag et se cache derrière des poteaux, ou des voitures, ou n’importe quoi. Mais c’est du cinéma. En vrai, on ne doit pas pouvoir rater son coup avec une mitraillette. Mais comment fait-on pour se procurer une mitraillette, se demandait Madeleine?
Un après-midi gris et doux de septembre, elle avait longuement regardé à la télévision les tours jumelles qui ne cessaient de s’effondrer dans une fumée d’apocalypse. La trajectoire improbable et si déterminée de l’avion percutant la tour lui serrait les entrailles. Elle retenait sa respiration, elle restait suspendue à mille mètres au-dessus du sol, terrorisée, paralysée, annihilée, meurtrie à l’avance de la douleur du désastre prochain, improbable et pourtant si déterminé, qui l’attendait elle aussi, et qu’elle pressentait. Il arriva un mardi soir, le jour de Mars, le jour des guerriers toujours jeunes et intrépides qui ne font qu’une bouchée des pauvres Vénus aimantes et ridicules. Il lui dit qu’il la quittait, qu’il partait pour une autre plus jeune, moins ceci, plus cela. L’autre, elle la connaissait un peu. Il lui en avait toujours parlé comme d’une gentille gourde, sans doute pour brouiller les pistes. Ou bien avec le temps, elle avait dû devenir encore plus gentille et un peu moins gourde. En tout cas, Madeleine avait très envie de la tuer, même si elle se disait raisonnablement que c’était lui, le traître, qui méritait la mort. De toute façon avec une mitraillette, elle pourrait les tuer tous les deux.
On était déjà en novembre et les tours de septembre ne cessaient de s’effondrer dans d’infinis nuages de cendre. Sa vie était tombée en poussière, minée de l’intérieur. Elle avait toujours pensé que quand il partirait, quand elle n’arriverait plus à le retenir, sa vie serait finie. Et pourtant, elle était encore en vie. Mais rien n’avait plus de sens. Celui qu’elle aimait tant, qu’elle avait toujours eu tellement peur de perdre, dont elle souhaitait la présence plus que tout au monde, allait devenir pour elle une éternelle absence. Pour elle, mais pas pour l’Autre, celle qui avait remporté la victoire dans un combat pour lequel Madeleine n’avait même pas été armée ! Cette fois, avec sa mitraillette, c’est elle qui gagnerait.
Madeleine était vraiment décidée à tuer, mais les modalités pratiques l’arrêtaient. Et puis elle ne savait pas bien encore qui elle voulait tuer exactement. C’était un problème ça aussi, mine de rien. Au fond, le vrai coupable, c’était lui. Mais elle avait surtout envie de l’étriper, elle, la voleuse d’hommes, la salope en talons aiguilles qui lui avait piqué l’amour de sa vie.
            « Crime passionnel au Havre ». Est-ce que ça peut vraiment faire un gros titre ? Personne n’y croira. Au Havre il peut y avoir des crimes, mais quand même pas de la passion. Car Madeleine habitait  la ville la plus grise, la plus morne, la plus ridicule, la moins passionnée de France.  D’ailleurs on n’y avait jamais tué personne à la mitraillette. Il faut reconnaître quand même que la mitraillette, ça fait un peu marseillais, un peu règlement de comptes entre mafiosi. Mais comment tue-t-on au Havre ?
Madeleine revenait sans cesse à son scénario de prédilection. Elle aurait tellement aimé trouver un moyen de les faire monter dans la tour de l’Hôtel de Ville, cette drôle de tour en béton élevée soudain au rang de chef d’œuvre depuis que Le Havre avait obtenu son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Car maintenant, on n’avait plus le droit de détruire quoi que ce soit au Havre, du moins dans le centre ville. Ça serait un crime contre l’humanité, ou plutôt contre son patrimoine, un crime de lèse-Auguste Perret. Elle venait justement de revoir le film « Table Rase », consacré au bombardement de la ville en septembre 1944, dans le petit cinéma de quartier qui le repassait chaque année. Elle avait été fascinée cette fois par la séquence du début qui montrait des images du bombardement nocturne filmé d'un avion. Les bombes s'écrasaient au sol dans un feu d'artifice complètement silencieux. Chaque gerbe lumineuse faisait voler en éclats, sans doute, une maison, un immeuble, une église, un théâtre, mais on ne voyait que la lumière dans la nuit, et on ne pouvait percevoir ni la souffrance ni la mort. C'était sinistre et beau. On n'avait pas encore inventé le patrimoine de l'humanité, et Madeleine rêvait maintenant de revenir à cet âge barbare.
Elle pourrait donc trouver un prétexte pour les faire monter dans la tour, une fausse convocation au bureau des permis de construire, celui qui est au 12ème étage, ou une invitation dans le bureau du maire, pourquoi pas ? Et pendant ce temps-là elle irait détourner un des avions qui décollent de temps en temps de l’aéroport d’Octeville, elle supprimerait le pilote, elle prendrait les commandes de l'appareil, et hop ! Elle le ferait s’écraser contre la tour. Et on verrait bien si on n’a plus le droit de détruire Le Havre ! On l’avait bien détruite, elle ! Elle qui est aussi un morceau de l’humanité…
Ce plan avait l’avantage d’être très spectaculaire et approprié à l’actualité, mais l’inconvénient d’être un peu compliqué, il fallait le reconnaître. D'ailleurs elle ne savait pas piloter un avion, et ça devait prendre un peu de temps de passer son brevet de pilote, non ? Cependant la mitraillette lui plaisait de moins en moins. Trop banale, trop expéditive. Elle chercha donc encore autre chose.
Au Havre, quand les gens veulent se tuer, ils se jettent parfois du haut du Pont de Normandie. Autrefois, c'était le pont de Tancarville qui inspirait les suicidaires. Fierté de la France gaullienne, solidement ancré d'un côté à la falaise des bords de Seine, il lançait son long bras suspendu par-delà le fleuve, « de l'autre côté de l'eau », comme on dit ici, et l'on devait se sentir un peu partie prenante de la grandeur nationale quand on prenait son dernier élan du haut du tablier.  Mais il semblait maintenant complètement dépassé par l'élégance de la courbure du nouveau pont qui s'élevait si haut au-dessus de la Seine, si haut, si haut... Cependant à sa connaissance, on n’avait jamais tué quelqu’un en le poussant du haut du pont de Normandie. Il aurait fallu quand même que l’assassiné soit très coopératif pour enjamber lui-même les rambardes et les barrières de sécurité. On pouvait peut-être l’y contraindre en le menaçant avec une arme, mais justement elle n’avait pas d’arme.
Mais tout de même, pourquoi chercher si loin ? Pourquoi se compliquer la mort ? Car c'était la falaise qui continuait à remporter tous les suffrages des candidats au suicide malgré l'engouement morbide pour les chefs-d’œuvre du génie civil.  Et si on se jetait couramment du haut de la falaise d'Etretat, notoriété oblige, le Cap de La Hève ne chômait pas non plus, pour ceux qui préféraient les suicides de proximité. Et après tout, s'il est si facile de sauter dans le vide, cela ne doit pas être bien difficile non plus de pousser quelqu'un, se disait Madeleine. Il faut y aller franco, c'est tout. En passant  devant le port de pêche, un jour, elle avait vu un petit attroupement autour d'un drôle de pantin raidi couché sur le ciment de la rampe d'accès à la mer. Il levait un bras vers le ciel. C'était un cadavre qu'on venait de repêcher dans le port. Un suicidé sans doute, tombé de La Hève et ramené dans les bassins par la mer, mais allez savoir... Peut-être qu'on l'avait un peu poussé. Il lui faudrait donc pister ses futures victimes, car elle devait guetter l'opportunité d'une promenade en amoureux sur la falaise, un dimanche de beau temps. Tous les amoureux finissent par se promener un dimanche au bord de la falaise.
Cette image d'un couple d'amoureux enlacés sur fond de mer et de ciel bleu, enveloppés par le piaillement des goélands, bercés par le bruit des vagues, lui fit soudain très mal, tandis qu'elle ruminait pour la centième fois sa future vengeance, assise sur un banc des jardins de l'Hôtel de Ville, face aux mélancoliques autruches de fer des bassins, en éternel équilibre sur une patte au milieu des roseaux. Le souffle coupé par la douleur, elle se leva pour respirer un peu, et se décida à récupérer sa voiture pour rentrer chez elle. Il était déjà tard. La lumière du soir colorait doucement les immeubles de béton. Elle allait se faire couler un bon bain bien chaud et boire un verre de whisky ou deux, ou trois, enfoncée dans les bulles de mousse parfumée. C'était un bon truc pour supporter d'aller se coucher seule, dans le grand lit vide.
En sortant du parking de la mairie, elle obliqua à droite pour profiter de la lumière du couchant d'automne sur l'Avenue Foch. Comme d'habitude, la vaste chaussée rectiligne était à moitié déserte, offrant au loin l'austère géométrie de sa Porte Océane qui laissait entrevoir l'horizon. Les allées bordées de très grands arbres se complaisaient dans leur douce solitude, n'abritant que de rares promeneurs. La belle et sérieuse Avenue Foch, si aristocratique, si peu commerciale, n'était jamais très fréquentée. Le vent s'y engouffrait souvent sans mesure, la pluie s'y répandait comme en terrain conquis, et les arcades qui resserraient le passage vers la mer semblaient alors si difficiles à atteindre. Mais ce soir de novembre une lumière aveuglante et prometteuse en jaillissait, comme dans un tableau du Lorrain. Blessée, Madeleine roulait lentement vers la mer. Elle revenait douloureusement à la stupide et insupportable réalité. Non, elle n'achèterait pas de mitraillette, elle ne ferait pas exploser la tour de béton de l'Hôtel de Ville en pilotant un charter miteux pour les Baléares improbablement détourné de sa route, elle ne pousserait personne du haut d'un pont ou d'une falaise. Malgré toute sa haine et sa rancœur, elle resterait complètement impuissante, inutile, trompée, abandonnée, et lamentablement inoffensive.
Là-bas, au coin du square Saint Roch, le feu passait au rouge. Madeleine ralentit machinalement. Un homme et une femme enlacés se préparèrent à traverser l'avenue. Du fond de sa tristesse, Madeleine reconnut immédiatement leurs silhouettes se détachant en contre-jour dans la lumière du soir. Ils venaient de s'embrasser sur le trottoir, et maintenant ils s'avançaient sur la chaussée, serrés l'un contre l'autre. Elle appuya brusquement sur l'accélérateur.  Après un sursaut, la voiture reprit de la vitesse, et elle dut donner un coup de volant vers la gauche pour ne pas les manquer. Dans sa rage, elle trouva le choc un peu décevant, mais elle comprit qu'elle les avait eus tous les deux. Elle s'arrêta un peu plus loin le long du trottoir pour ne pas gêner la circulation, elle descendit de la voiture et s'achemina lentement vers les deux pantins désarticulés qui gisaient au milieu de la rue. Des promeneurs sortant du square s'étaient déjà précipités. Une grosse femme arrivait vers elle en hurlant. Madeleine la contourna et s'approcha des corps étalés. Tout d'abord elle ne comprit pas. Elle ne voyait là qu'un adolescent aux yeux grands ouverts et une fille inconnue, très blonde, très jeune, avec du sang autour de la tête. Que s'était-il passé ? Où étaient ses vraies victimes ? Les gens criaient autour d'elle, un homme la saisit par le bras. « C'est un malentendu, murmura-t-elle, un affreux malentendu. Je me suis trompée, excusez-moi, je suis désolée, désolée ». C’était toujours la même chose. Elle s’abîmait dans ses pensées, elle combinait des plans compliqués, et puis au bout du compte, au moment d’agir, elle improvisait n’importe quoi. La semaine dernière elle avait poussé une vieille dans le bassin Vauban, derrière la gare. Et avant-hier, avant-hier… il lui semblait bien qu’elle avait encore raté son coup. Elle ne pensa plus alors qu’à son bain chaud et à son verre de whisky. Elle dégagea énergiquement son bras, et elle décida de rentrer chez elle le plus vite possible et de se coucher tôt.